27 OCTOBRE 2022, Photo de Muriel Leclerc
Dimanche dernier, je ne faisais rien. C’est du moins ce que je pensais. Mais en réalité, je faisais quelque chose d’un peu mystérieux dont je voudrais vous parler, j’attendais. Pendant deux semaines, je m’étais rafraîchi la mémoire sur les grands principes de la vulgarisation et j’avais mis au point tout un scénario pour vous parler des règles qui sont à la base de la composition de chansons et là devant mon ordinateur je glandais en jouant aux cartes. J’eus alors l’illumination. Je me suis dit : je suis quelqu’un de vulgaire, du moins dans mon intention de communiquer ma pensée à travers l’art. En effet, le terme vulgariser viendrait du latin « vulgaris » qui signifie relatif à la foule. Vulgariser serait donc, en quelque sorte, l’objectif de l’artiste qui désire communiquer avec son public du moins dans la chanson populaire car, l’entreprise de la musique classique semble correspondre à d’autres impératifs, mais, comme ce n’est pas mon domaine, je ne m’y aventurerai pas.
Alors voici comment moi, en tant qu’artiste vulgaire, je fonctionne. Première règle, apprendre à ne rien faire, à attendre. Eh oui, je passe beaucoup de temps à faire n’importe quoi sauf écrire et composer. Mais ce rien a besoin d’être organisé et alimenté pour donner une chanson ou toute autre performance artistique. Par exemple, on me demande de créer un intermède artistique pour le lancement d’une chaire publique dont je ne révélerai pas le nom, mais dont j’espère me faire l’AELIÉS1. Dans le domaine de l’art, les alliés sont toujours utiles. Je commence donc par écrire toute sorte de choses qui ont plus ou moins de rapport avec le sujet, afin de voir vers où je pourrais diriger ma pensée. Je lis également sur la question qui me préoccupe. Je regarde par la suite ce que j’ai déjà comme matériel. Je travaille sur un concept et quatre jours avant l’événement, alors que je ne fais rien, je trouve enfin l’inspiration. L’inspiration, c’est un souffle, une respiration nouvelle, un grand vent qui chasse les feuilles de l’angoisse et pousse le créateur vers son objet de création, sa saison nouvelle. Je laisse donc de côté ce que j’avais préparé, car je le sais maintenant, c’est mon inspiration, je parlerai de moi, un moi vulgaire bien entendu, mais de moi.
Parler de soi est à première vue égoïste. Mais faisons-nous autre chose que parler de nous-mêmes en toute circonstance? Bien sûr la science nous oblige à un certain éloignement du sujet à explorer, mais le choix du sujet lui-même ne fait-il pas partie de nos préoccupations personnelles, de nos sensibilités particulières? Mais de l’égoïsme premier vient ensuite la préoccupation de l’universel. En chanson en particulier, je me demande comment ma propre expérience peut rejoindre celle des autres? Car je demeure vulgaire dans mes préoccupations. Il s’agit parfois d’une simple transposition. On oublie le « je » pour lui substituer un « il » ou le contraire, on use de formules imagées ou de symbolismes, on se réfère à des expressions connues, etc.. Tout ce procédé est parfois inconscient, mais souvent le fruit d’un travail de patience et de peaufinage.
Je considère ensuite les rimes qui ne viennent pas toujours spontanément. J’utilise un logiciel pour chercher la perle rare qui fera de mon texte une expérience unique. Puis, je lis chaque paragraphe plusieurs fois pour entendre le rythme que les phrases cachent. La musique des mots, une poésie, un souffle, une insistance ou une hésitation, un propos lourd ou bien léger. Mais souvent je reviens aux notes que j’ai déjà employées pour d’autres textes. Alors commence un questionnement. Quel est cet ensemble de notes ou de sonorités que je n’ai jamais employées? Du moins, je changerai quelque chose pour ne pas sonner comme la dernière pièce et faire de ce morceau une nouveauté. Créer c’est reprendre ce qui existe et en faire un assemblage nouveau. On ne peut créer à partir de rien sauf, évidemment, quant il s’agit de l’art de ne rien faire qui cache en fait une activité mentale inconsciente.
Derrière tout ce processus, il y a toujours la recherche de ce petit « hook » qui fera que le vulgaire, la vulgaire foule, dont je fais partie, fredonnera ma chanson. Et puis il y a la pratique, l’exercice de la mémoire qui, souvent, me fait défaut et m’oblige à transporter mes feuilles de paroles et de notes, pour me rassurer et avoir l’air de celui qui maîtrise tout de cet art du faiseur de chansons.
En conclusion, on voit bien que ne rien faire est une entreprise périlleuse qui oblige à passer de nombreuses heures à peaufiner, se questionner ou questionner ceux qui nous entourent pour avoir leur opinion, vérifier si on a le ton juste, etc. Pour y arriver, il faut utiliser des centaines de pages virtuelles ou réelles.
1 Association des étudiant(e)s de Laval inscrits aux cycles supérieurs